Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
remarques détachées sur l’esthétique des arts plastiques

contempler des formes à demi nues, entièrement nues même dans les gymnases. Leur sens plastique était ainsi invité à porter un jugement sur chaque membre qu’ils voyaient, et à le comparer à l’idéal non développé qu’ils portaient dans leur conscience. Ils ne cessaient ainsi d’exercer leur jugement des formes et des membres jusque dans les détails les plus délicats, et ainsi peu à peu leur anticipation d’abord vague de l’idéal de la beauté humaine s’élevait à une telle netteté de conscience expresse, qu’ils devenaient capables de l’objectiver dans l’œuvre d’art. — De même l’expérience propre est utile et nécessaire au poète pour la peinture des caractères. Sans doute il ne travaille pas d’après la seule expérience et sur des données tout empiriques, mais selon la conscience précise de l’essence de l’humanité, telle qu’il la trouve au-dedans de lui-même ; mais cependant l’expérience sert de modèle à cette conscience, ainsi que de stimulant et d’exercice. C’est donc seulement par l’expérience que la connaissance de la nature humaine et de ses diversités acquiert chez le poète la vie, la précision, l’étendue, quoique, dans le fond, elle procède a priori et par anticipation. — Ce sens admirable de la beauté qui a rendu les Grecs seuls capables, entre tous les peuples de la terre, de découvrir le type normal et vrai de la forme humaine et d’établir à jamais les modèles de beauté et de grâce à imiter, nous pouvons le pénétrer plus profondément encore, en nous appuyant sur notre précédent livre et sur le chapitre xliv du livre suivant. Nous pouvons dire : ce même élément, qui, toujours uni à la volonté, donne l’instinct sexuel avec son choix exclusif, c’est-à-dire l’amour sexuel (qui était, on le sait, chez les Grecs, sujet à de grands égarements), ce même élément, toujours actif, mais détaché de la volonté à la faveur d’une intelligence supérieure et anormale, devient le sens objectif de la beauté humaine : tout d’abord simple sentiment critique du beau, ce sens peut s’élever jusqu’à découvrir et à exprimer la règle de toutes les proportions du corps humain. Tel a été le cas de Phidias, de Praxitèle, de Scopas, etc. — Ainsi se réalisent ces paroles que Gœthe met, dans la bouche de l’artiste :

« Qu’avec l’esprit divin et la main humaine je sois capable de figurer ce qu’auprès de ma femme je puis et je dois faire comme tout animal. »

Et ici encore il se produit un phénomène analogue pour le poète : ce qui, lié à la volonté, donnerait la simple expérience du monde, devient, une fois séparé de la volonté, grâce à un excès anormal d’intelligence, la faculté d’expression objective et dramatique.

La sculpture moderne, quoi qu’elle puisse produire, est semblable à la poésie latine moderne et est, comme cette poésie, une fille de l’imitation, née de la réminiscence. S’avise-t-elle de vouloir être