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CHAPITRE XLIV
MÉTAPHYSIQUE DE L’AMOUR


Vous, doctes à la haute et profonde science,
Vous qui devinez et qui savez
Comment, où et quand tout s’unit,
Pourquoi tout s’aime et se caresse ;
Vous, grands savants, instruisez-moi !
Découvrez-moi ce que j’ai là,
Découvrez-moi où, comment, quand
Et pourquoi pareille chose m’arriva.

Bürger.


Ce chapitre est le dernier de quatre qui, par leurs rapports divers et réciproques, forment comme un tout secondaire : le lecteur attentif s’en apercevra, sans que je sois forcé, par des références et des renvois aux autres chapitres, d’interrompre mon exposé.

On a coutume de voir les poètes occupés surtout de la peinture de l’amour. C’est là d’ordinaire le thème principal de toutes les œuvres dramatiques, tragiques ou comiques, romantiques ou classiques, hindoues ou européennes ; de même l’amour fournit la matière de presque toute la poésie lyrique et épique ; je laisse de côté ces montagnes de romans que chaque année fait naître dans tous les pays civilisés de l’Europe avec la même régularité que les fruits de la terre, et cela depuis des siècles. Toutes ces œuvres, en substance, ne sont autre chose que des descriptions variées, brèves ou étendues, de la passion dont il s’agit. Les peintures les plus réussies qu’on en a faites, par exemple Roméo et Juliette, la Nouvelle Héloïse, Werther, ont conquis une gloire impérissable. La Rochefoucauld cependant estime qu’il en est d’un amour passionné comme des revenants, dont tous parlent, mais que personne n’a vus ; de même Lichtenberg dans un écrit sur le Pouvoir de l’amour, conteste et nie la réalité et la vérité de cette passion. C’est là une grande erreur. En effet il est impossible qu’un sentiment étranger et contradictoire à la nature humaine, fiction puérile imaginée à plaisir, ait pu, en tout temps, être décrit sans relâche par le génie des poètes et exciter chez tous les hommes une inaltérable sympathie ; sans vérité, pas de chef-d’œuvre :

Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.
__________________Boileau.