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le monde comme volonté et comme représentation

faites par Stobée, et qui nous ont été conservées sur les rapports du νοῦς et de la ψύχη (Ecl. lib. I, c. 51 § 7,8).

X. — Sur quoi repose l’identité de la personne ? Non pas sur la matière du corps : celle-ci se renouvelle au bout de quelques années. Non plus sur la forme de ce corps : elle change dans son ensemble et dans ses diverses parties, sauf toutefois dans l’expression du regard ; c’est au regard qu’après un grand nombre d’années même on peut reconnaître une personne. Preuve que, malgré toutes les modifications que le temps provoque dans l’homme, quelque chose en lui reste immuable, et nous permet ainsi, après un très long intervalle même, de le reconnaître et de le retrouver intact. C’est ce que nous observons également en nous-même : nous avons beau vieillir, dans notre for intérieur nous nous sentons toujours le même que nous étions dans notre jeunesse, dans notre enfance même. Cet élément immuable, qui demeure toujours identique à soi sans jamais vieillir, c’est précisément le noyau de notre être qui n’est pas dans le temps. — On admet généralement que l’identité de la personne repose sur celle de la conscience. Si on entend uniquement par cette dernière le souvenir coordonné du cours de notre vie, elle ne suffit pas à expliquer l’autre : Sans doute nous savons un peu plus de notre vie passée que d’un roman lu autrefois ; mais ce que nous en savons est pourtant peu de chose. Les événements principaux, les scènes intéressantes se sont gravés dans la mémoire ; quant au reste, pour un événement retenu, mille autres sont tombés dans l’oubli. Plus nous vieillissons, et plus les faits de notre vie passent sans laisser de trace. Un âge très avancé, une maladie, une lésion du cerveau, la folie peuvent nous priver complètement de mémoire. Mais l’identité de la personne ne s’est pas perdue avec cet évanouissement progressif du souvenir. Elle repose sur la volonté identique, et sur le caractère immuable que celle-ci présente. C’est cette même volonté qui confère sa persistance à l’expression du regard. L’homme se trouve dans le cœur, non dans la tête. Sans doute par suite de nos relations avec le dehors nous sommes habitués à considérer comme notre moi véritable le sujet de la connaissance, le moi connaissant, qui s’alanguit le soir, s’évanouit dans le sommeil, pour briller le lendemain d’un plus vif éclat. Mais ce moi là est une simple fonction du cerveau et non notre moi véritable. Celui-ci, ce noyau de notre être, c’est ce qui est caché derrière l’autre, c’est ce qui ne connaît au fond que deux choses : vouloir ou ne pas vouloir, être ou ne pas être content, avec certaines nuances bien entendu de l’expression de ces actes et qu’on appelle sentiments, passions, émotions. C’est ce dernier moi qui produit l’autre, il ne dort pas avec cet autre, et quand celui-ci est anéanti par la mort, son compagnon n’est pas