Page:Schuré - Les Prophètes de la Renaissance, 1920.djvu/322

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
300
LES PROPHÈTES DE LA RENAISSANCE

et retentit une joie triomphante, une ivresse divine.

Revenons à l’artiste. Sa vie s’était écoulée jusqu’à ce moment comme un beau jour sans nuage. Entouré de visions paisibles, heureux dans son intérieur, indiflérent aux hommes, il n’avait g^uëre connu la contradiction aiguë entre la réalité et l’idéal, entre la politique et l’art, qui déchira l’âme de Michel-Ange et qui imprime une marque tragique à la destinée des grands créateurs. Mais pendant qu’il achevait son chef-d’œuvre, le malheur devait l’atteindre. Il avait déjà vu les rigueurs d’un siège en peignant les fresques de Saint-Jean. Le pape avait investi la ville, et des projectiles étaient tombés jusque dans l’église où travaillait Allegri ; il s’était réfugié dans son bourg. Plus tard, pendant qu’il travaillait à la cathédrale, vinrent la famine, la maladie, la peste. « Les campagnes se dépeuplaient, le* champs restaient incultes. Un air lourd et malsain planait sur la ville et enveloppait ses habitants comme d’un linceul funèbre. Des chiens saoe maîtres erraient dans les rues désertes, des oiseaux de proie enhardis par la solitude tournaient sur les places publiques. Au milieu de la ville frappée d’horrew, un homme tranquille traversait tous les matins les rues muettes pour gagner le dôme. C’était le Gorrège qui allait à son travail. » A cette époque, il perdit subitement sa femme Jéromine, la madone rayonnante de son foyer. Comment supporfca-t-il ce coup ? On n’en sait rien. La grandeur de sa douleur peut se mesurer à la fidélité de son amour. Mais il était sans doute de ces natures qui se manifestent d’autant moins qu’elles sentent