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intérieure. Jamais il ne cesse de faire de la psychologie en paroles, en musique, en tableaux vivants. Tout ce qui ne concourt pas à ce but est rigoureusement banni. Voilà ce qui captive, voilà ce qui empoigne dans ses drames, une fois que la pensée maîtresse s’est emparée de vous.

Je ne veux m’arrêter ni au premier, ni au commencement du second acte. Je passe sous silence le défilé des hôtes de la Wartbourg, animé par une foule de détails piquants, spirituels et fins, inventés, je crois, par celle qui préside si savamment à la mise en scène. Je n’insiste pas non plus sur la lutte des chanteurs dont la progression dramatique a été renforcée par une heureuse coupure et par une interprétation mouvementée de tous les personnages. J’arrive au point culminant de la scène qui est le pivot de l’œuvre entière. Il s’agit du moment où Élisabeth se jette entre Tannhæuser et les chevaliers, qui, dans le paroxysme de leur indignation, veulent mettre à mort l’amant déclaré de Vénus. Ce moment se résume dans le premier cri d’Élisabeth : « Arrêtez ! » et dans ce mot qui, tout d’un coup, la grandit si étrangement à nos yeux : « Que sont vos épées auprès du glaive dont il vient de me transpercer ? » Oui, ce cri de douleur et de protestation, poussé par le cœur brisé d’une femme à qui la force de son amour donne le courage suprême de la foi et l’ivresse du sacrifice, ce cri est le sommet du drame. Il en condense, il en darde toute la pensée, comme la foudre décharge en une seconde toute l’électricité amassée dans un nuage. J’observe qu’à la représentation de Bayreuth, ce mot : « Arrêtez ! » a eu tout son effet dramatique, parce que Mlle Viborg l’a poussé comme un cri musical sur la note haute marquée dans la partition. En pareil cas, la parole est insuffisante. Le cri est la seule expression possible d’un pareil élan de l’âme et d’une aussi prodigieuse action. Il produit l’effet d’un surnaturel éclair dans une obscurité épaisse. Pourquoi donc ce cri a-t-il le pouvoir de clouer sur place les chevaliers en fureur, de paralyser leurs bras, de frapper d’impuissance leurs épées nues et brandies ? Pourquoi dissipe-t-il les lourds nuages que les voluptés du Venusberg