Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/113

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virginal. Mais lorsqu’il fut lui-même, il choisit pour maître, comme Dante, Brunetto Latini, et vécut dans son siècle, où les faces rigides ont l’extraordinaire béatitude des paradis mystérieux.

Et, parmi les femmes, il connut d’abord Jenny, qui était nerveuse et passionnée, dont les yeux étaient adorablement cernés, noyés d’une humidité langoureuse avec un regard profond. Ce fut un amant triste et rêveur ; il cherchait l’expression de la volupté avec une âcreté enthousiaste ; et quand Jenny s’endormait, lassée, aux rayons du matin, il épandait les guinées brillantes parmi ses cheveux ensoleillés ; puis, contemplant ses paupières battues et ses longs cils qui reposaient, son front candide qui semblait ignorant du péché, il se demandait amèrement, accoudé sur l’oreiller, si elle ne préférait pas l’or jaune à son amour, et quels rêves désenchantants passaient sous les parois transparentes de sa chair.

Puis il imagina les filles des temps superstitieux, qui envoûtaient leurs amants, ayant été abandonnées par eux ; il choisit Hélène, qui tournait dans une poêle d’airain l’image en cire de son fiancé perfide : il l’aima, tandis qu’elle lui perçait le cœur avec sa fine aiguille d’acier. Et il la quitta pour Rose-Mary, à qui sa mère, qui était fée, avait donné un globe cristallin de béryl comme gage de sa pureté. Les esprits du béryl veillaient sur elle et la berçaient de leurs chants. Mais lorsqu’elle succomba, le globe