Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/139

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Je m’aperçus alors que je parlais au squelette de Tom Bobbins. Je ne me précipitai pas à ses genoux, et je ne m’exclamai pas : « Arrière, fantôme, qui que tu sois, âme troublée dans ton repos, expiant sans doute quelque crime commis sur la terre, ne viens point me hanter ! » — Non, mais j’examinai mon pauvre ami Bobbins de plus près, et je vis qu’il était bien décati ; il avait surtout un air mélancolique qui me touchait au cœur ; et sa voix ressemblait à s’y méprendre au sifflement triste d’une pipe qui jute. Je crus le réconforter en lui offrant un cigare ; mais il s’excusa sur le mauvais état de ses dents qui souffraient extrêmement de l’humidité de son caveau. Je m’informai naturellement avec sollicitude de sa bière ; et il me répondit qu’elle était de fort bon sapin — mais qu’il y avait un petit vent coulis qui était en train de lui donner un rhumatisme dans le cou. Je l’engageai à porter de la flanelle et je lui promis que ma femme lui enverrait un gilet tricoté.

L’instant d’après Tom Bobbins le squelette, et moi, nous avions posé nos pieds sur la tablette de la cheminée et nous causions le plus confortablement du monde. La seule chose qui m’offusquât était que Tom Bobbins persistait à cligner de l’œil gauche, bien qu’il n’eût plus aucune espèce d’œil. Mais je me rassurai en me rappelant que mon autre ami Colliwobles, le banquier, avait coutume de donner sa parole d’honneur, bien qu’il n’en eût pas plus que Bobbins d’œil gauche.