Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/14

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supprime n’était plus forte que la pitié future de ce qu’on veut créer ; si le regard d’un enfant ne faisait chanceler les meurtriers des générations d’hommes ; si le cœur n’était double enfin, même dans les poitrines des ouvriers de la terreur future.

Ainsi est atteint le but de ce livre, qui est de mener par le chemin du cœur et par le chemin de l’histoire de la terreur à la pitié, de montrer que les événements du monde extérieur peuvent être parallèles aux émotions du monde intérieur, de faire pressentir que dans une seconde de vie intense nous revivons virtuellement et actuellement l’univers.


II

Les anciens ont saisi le double rôle de la terreur et de la pitié dans la vie humaine. L’intérêt des autres passions semblait inférieur, tandis que ces deux émotions extrêmes emplissaient l’âme entière. L’âme devait être en quelque manière une harmonie, une chose symétrique et équilibrée. Il ne fallait pas la laisser en état de trouble ; on cherchait à balancer la terreur par la pitié. L’une de ces passions chassait l’autre, et l’âme redevenait calme ; le spectateur sortait satisfait. Il n’y avait pas de moralité dans l’art ; il y avait à faire l’équilibre dans l’âme. Le cœur sous l’empire d’une seule émotion eût été trop peu artistique à leurs yeux.

La purgation des passions, ainsi que l’entendait Aristote, cette purification de l’âme, n’était peut-être que le calme ramené dans un cœur palpitant. Car il n’y avait dans le drame que deux passions, la terreur et la pitié, qui devaient se faire contrepoids, et leur développement intéressait l’artiste à un point de vue bien différent du