Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/171

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ne réalisa aucune de ses espérances dans ce monde passager afin de les laisser éclore dans l’existence future, qui est, comme vous le savez, éternelle. »

Là-dessus Nébuloniste se tut. Le roi, pensif, réfléchit longtemps. Puis sa figure s’éclaira, et il s’écria d’un ton joyeux :

« Voilà qui est merveilleux ; mais, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que j’ai compris du premier coup. Cela veut dire qu’il faut mettre couver mes œufs. »

Le grand magicien s’inclina devant la sagacité du roi, et tous les courtisans battirent des mains. Les gazettes ne manquèrent pas de vanter l’esprit de Sa Majesté qui avait ainsi démêlé la morale d’un profond apologue.

La conséquence fut que le bon roi ne voulut pas être le seul heureux. Il s’enferma pendant trois heures et élucubra le premier décret de son règne. De par tout le royaume il était désormais interdit de manger des œufs. On les ferait couver. Le bonheur des sujets serait assuré inévitablement de cette manière. Des peines sévères sanctionnaient l’exécution de la loi.

Le premier inconvénient du nouveau régime fut que le roi, occupé contre son habitude des affaires du royaume, en perdit la tête et oublia de commander son déjeuner pour le dimanche de Pâques. Il le regretta bien ce jour-là.

Puis il y eut aussitôt des hommes politiques pour commenter le décret. L’apologue de Nébuloniste s’était répandu par les journaux et l’on vit dans la loi du prince un mythe ingénieux qui commandait aux hommes