Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/185

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mortes. Les rochers qui ceignaient les lacs étaient de basalte, d’un noir vigoureux ; les assises de granit se couvraient de mousse et le soleil allumait toutes leurs paillettes de mica ; aujourd’hui les arêtes de blocs, obscurément soulevés, confusément groupés, sous le manteau sans plis du givre, défendent leurs orbites pleins de glace sombre, comme des sourcils de pierre.

Entre deux flancs très verts, au creux d’un massif élevé, courait une longue vallée avec un lac sinueux. Sur les bords, et jusqu’au centre, émergeaient des constructions étranges, quelques-unes accotées deux à deux, d’autres isolées dans le milieu de l’eau. Elles étaient comme une multitude de chapeaux de paille pointus sur une forêt de bâtons. Partout, à une certaine distance du rivage, on voyait surgir des têtes de perches qui formaient pilotis : des troncs bruts, déchiquetés, souvent pourris, qui arrêtaient le clapotis des petites vagues. Immédiatement assises sur les extrémités taillées des arbres, les huttes étaient faites avec des branches et la vase séchée du lac ; le toit, conique, pouvait se tourner dans toutes les directions, à cause du trou à fumée, afin qu’elle ne pût être rabattue à l’intérieur par le vent. Quelques hangars étaient plus spacieux ; il y avait des sortes d’échelons plongeant dans l’eau et des passerelles minces qui joignaient souvent deux îlots de pilotis.

Des êtres larges, mafflus, silencieux, circulaient parmi les huttes, descendaient jusqu’à l’eau, traînaient