Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/195

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vent du soir, et que les premières teintes grises de la nuit eussent ombré la terre.

Alors on fêta la reine de la moisson. Etait-elle vraiment jolie ? Elle avait ce que n’ont pas, grands dieux ! les coquettes élevées dans l’ombre des gynécées, la fraîcheur sauvage et le parfum pénétrant des fleurs de la montagne. Le voyageur lassé par une longue route dans le soleil, et qui s’essuie le front après avoir péniblement gravi une côte poudreuse, écoute avec délices le murmure d’une source froide qui vient sourdre au milieu de roches moussues et tombe en cascade argentine sur les feuilles découpées des fougères et sur les rameaux de cornouiller chargés de baies pierreuses. Il y court, et, tendant ses mains en sueur, il les trempe dans le filet d’eau rejaillissante ; il mouille sa figure et boit en plongeant les lèvres à même. Puis il s’étend près de la source chantante et se laisse bercer à son murmure ; oubliant la côte aride avec ses frênes désolés et ses touffes de lavande et de romarin, il refait ses regards du nid de feuillage de la nymphe ; les violettes lui clignotent des yeux au fond de leurs cachettes vertes et les fraisiers sauvages lui montrent des perles rouges entre leurs feuilles dentelées. Les senteurs des bois l’accablent de leur arôme, et il s’abandonne aux caresses de la forêt. Ainsi les citadins alanguis pouvaient se rafraîchir à contempler cette reine du pays Sabin.

Elle était assise au milieu des moissonneurs, sur