Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/198

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au doigt, — voilà qu’elle tomba au bord du chemin, — et elle était morte.

La reine de la moisson avait les yeux pleins de larmes, en finissant cette chanson ; l’air en était mélancolique et doux, et elle plaignait tant la pauvre fiancée… Mais les gouttes tièdes n’avaient pas eu de temps de rouler le long de ses joues, que déjà des bras vigoureux la soulevaient pour l’asseoir au faîte de la charrette. Les gerbes y avaient été tassées avec soin, et, au centre, on en avait placé trois, l’une en long, pour que la reine pût s’y asseoir, les autres debout, en manière de dossier. Et la reine prit place sur son trône et se couronna gentiment avec la tresse de bleuets qu’elle trouva accrochée au dossier de son siège royal, et elle embrassa son roi de tout cœur sur ses deux joues enflammées, quand il grimpa en haletant, le long des gerbes, pour lui donner une grande chaîne de coquelicots et d’énormes marguerites, qu’elle passa sur l’épaule gauche et noua à la taille. Alors la charrette se mit en marche ; les roues tournaient lentement, en grinçant — et les bœufs avançaient pesamment, la vue embarrassée par les touffes de lierre qui encombraient le joug et leurs cornes. Les moissonneurs entouraient le char de la reine de la moisson ; les plus vieux ouvraient la marche, les jeunes suivaient, et les femmes fermaient le cortège.

Ils chantaient les vieux chants qu’ils tenaient de leurs pères et que ceux-ci avaient reçus de leurs