Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’embrasure de la porte et aspirait l’air tiédi en hennissant. Le marin, poussant sa chique, me montra la petite et cligna de l’œil. Elle avait la tête penchée vers le fond de la mer du Morbihan, vers l’île d’Arz, où deux moulins faisaient tourner leurs ailes. De l’autre côté, Gavr’Innis recourbait sa croupe sur ses grottes sculptées. La mer, reflétant le ciel bleu, entourait de ses bras les îles verdoyantes ; des nuées d’alouettes à queue pâle filaient dans l’air.

L’île aux Moines est en face de l’île d’Arz. Les jours de Pardon, deux lignes de voiles blanches serpentent sur l’eau pour aller en Arz et revenir. Ces jours-là seulement, les filles de l’île aux Moines quittent leur robe et leur capuchon noir pour les gilets brodés et les rubans de velours à paillettes. Les hommes qui vont à la sardine avec les pêcheurs d’Etel et de l’île Tudy les mènent danser avec les filles d’Arz. Celles de l’île aux Moines ont la peau fine et blanche, les mains effilées, les yeux noirs et les cheveux blonds ; une colonie d’Espagnols, dit-on, s’est abattue jadis dans l’archipel. Les filles d’Arz sont brunes, vives et rieuses ; elles portent toujours un costume célèbre dans le pays. Elles aiment les tendres blondes de l’île aux Moines, qui ne jettent leurs voiles noirs qu’aux jours de fête, — et les promis mènent leurs fiancées en Arz avant les noces.

Or, chemin faisant, je causai avec ma petite compagne, et pour la soulager, je mis son paquet au bout de mon sabre et mon sabre sur mon épaule. Nous