Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/256

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et la boutique, juste au-dessus du comptoir ; je vois jusque dans la rue entre les paquets de millet qui pendent du plafond avec les saucisses fumées et les morues sèches, jusque sur les petites bouteilles pleines de boulettes rouges, blanches et bleues, sur les images d’Épinal, et les pipes en sucre d’orge, et les pétards ficelés, et les harengs saurs qui montrent leur ventre luisant comme un gilet d’or dans une redingote verte, et les pelotes de ficelle jaune, et les mèches à briquet soufrées, paquetées en nœuds comme des boyaux orangés de poisson. Tout cela est à moitié dans l’ombre ; le vent qui passe sous la porte fait trembler un peu la flamme rouge de la lumière ; ça fait un filet de fumée qui lèche la poutre du milieu — et je vois reluire au-dessus de la coiffe blanche de ma femme les bords de toutes les boîtes d’étain. On dirait que la boutique est pleine d’or et d’argent ; du millet d’or pâle au plafond, et des boudins d’or rouge, des harengs d’or jaune et d’or vert, des balais neufs avec des cheveux en paille d’or, des sucres d’orge en or transparent et des oranges d’or massif ; et puis de belles boîtes d’argent où il y a du café, du poivre et de la cannelle, des casseroles luisantes comme des sous neufs ; ça réjouit le cœur.

Je ne lui disais rien, à elle, après que nous étions pelotonnés sous la courtepointe, par les nuits de rafale, quand on se serre contre les bords de son lit et contre le mur tiède. C’est là que ça me pinçait le plus dans le cœur. On entend très bien de chez nous