Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/268

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même le crucifix de cuivre qui émergeait de son sein semblait briller d’une joie discrète. Elle chantait à voix de rossignol gris qui aurait été coiffé d’une huppe blanche. Les hommes de la troupe cherchaient son chant à vêpres, les yeux levés et la bouche ouverte. Ses tours de ronde, les malades se découvraient exprès, parce que sœur Angèle, passant avec sa lanterne entre les lits, comme un oiseau de nuit au vol doux, venait les border d’un geste tendre et uniforme. Le jour, quand elle descendait de la salle des blessés, on allait au retrait pour la guetter, tandis qu’elle faisait la cueillette au potager. De la fenêtre étroite du cabinet lambrissé on voyait voleter la cornette blanche — et plus loin la ville de Vannes et ses murailles longues, et son port effilé comme une lame de couteau d’argent, et plus loin le Pont-Vert près de la baie marine, et les arbres touffus du Conleau aplatis en taches brunes contre le ciel.

On disait que sœur Angèle de son vrai nom s’appelait Odette, — et les sous-officiers le murmuraient volontiers quand elle passait près d’eux. On disait que sœur Angèle avait été modiste à Paris, autrefois : de là sa démarche trottinante. On disait qu’elle était entrée en religion après un grand désespoir d’amour : son fiancé lui était brusquement apparu un soir, ivre, le chapeau sur l’oreille, et lui avait réclamé l’argent de sa semaine. Et l’infirmier Guillaume, potard farceur, prétendait connaître très bien ce fiancé, avoir