Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/283

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les cagnes du patelin, des cabots de malheur viennent nous agricher les fumerons, quand on a le ventre vide ? J’y fouterais rien un ferme-gueule, au patron, si je l’dégotais. »

La femme lui dit doucement : « Ne crie pas, mon petit homme. C’est que tu ne sais pas leur causer aux cabzirs. On les laisse venir comme ça… petit… petit… et puis quand ils sont là, tout près, t’as plus qu’à les gonfler.

— C’est bon, dit le gars. On va pas plumer ici. »

Ils longèrent la route en boitant. Le soleil était couché, mais les coups sonnaient toujours. Des lumières jaunes sautaient parmi les bosses noires, éclairant çà et là des masses rougeâtres.

« En voilà, des briques à croûter, dit la femme. Chez les casseux d’cailloux. »

On voyait maintenant des ombres se mouvoir sur les terre-pleins. Il y en avait qui piochaient la terre, courbés comme des houes, tirant des cailloux rouges. D’autres les éclataient en tas, avec des masses. Des enfants en bourgeron portaient des lanternes. Les travailleurs avaient un calot enfoncé sur la tête, et des lunettes mistraliennes, à verres bleus ; leurs sabots étaient empâtés de glaise sanguine. Un grand maigre travaillait d’attaque, le crâne plongeant dans son bonnet jusqu’aux oreilles ; il avait la figure couverte d’un loup en fil de fer noirci ; il devait être vieux : — deux pointes de moustaches grises débordaient sous le grillage.