Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/45

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leurs forces dans la bruine noire. Parmi les accalmies du vent qui portait d’ouest on entendait un doux clapotis régulier.

« Enfoncés ! dit Pen-Bras. Faut réveiller la Tourterelle. »

Le Vieux abrita le haut de sa lanterne avec un pan de caban, et ils longèrent le mur de la cahute, qui s’épatait sur la falaise comme un toit fauché. La Tourterelle était couché de l’autre côté, sous le bout de hangar qui regardait les champs ; une cloison de poutres où l’on avait plaqué de la terre sèche, pétrie de chaume, coupait la bicoque en deux. Les trois gabelous, debout sur le sentier sinueux qui court tout le long de la côte, tendirent l’oreille et essayèrent de percer des yeux la nuit épaisse.

« Pour sûr, j’entends nager, murmura la Vieux après un silence ; mais c’est drôle — on dirait que les rames sont emmitouflées… c’est du velours — ça ne clapote pas sec. »

Ils restèrent là une minute, la main sur leur capuchon pour se garder du vent. Le Vieux était depuis longtemps dans le service ; il avait les joues creuses, la moustache blanche, et jutait souvent à droite et à gauche. La Tourterelle était beau gars, et chantait comme pas un, à la brigade, quand il n’était pas de ronde. Peu-Bras avait les yeux enfoncés, de grosses joues, le nez crochu, et une marque de lie de vin lui zébrait la figure du coin de l’œil au pli du cou. Depuis son temps, qu’il avait tiré dans la ligne, le nom de