Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/54

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La Tourterelle était transportée dans une île frangée par la mer bleue, où les bois de cocotiers venaient baigner dans l’eau. Sur les plages sablonneuses croissaient des prairies de grandes plantes, dont les feuilles avaient l’air de glaives verts ; leurs larges fleurs sanglantes étaient éternellement épanouies. Des femmes brunes passaient parmi ces herbages, le regardant de leurs yeux noirs, humides, et la Tourterelle, chantant ses chansons joyeuses dans l’air pur et bleuâtre de la mer, les embrassait toutes sur leurs lèvres rouges : il était devenu, dans cette île, achetée avec son or, le Roi Tourterelle.

Et puis, quand le jour gris se leva, parmi les traînées de nuages noirâtres, au bout de la mer, les trois douaniers se réveillèrent, la tête vide, la bouche mauvaise, les yeux fiévreux. Le ciel plombé s’étendait à perte de vue sur l’immensité gris sale de l’océan ; une houle uniforme clapotait autour d’eux ; le vent froid leur balayait les embruns dans la figure. Mornes, accroupis au fond de leur barque, ils contemplèrent cette désolation. Les lames troublées charriaient des paquets de goémon ; les mouettes voletaient en criant, flairant la tempête ; passant de vague en vague, plongeant et se relevant, le you-you pointait au hasard, sans boussole. Un ris fit claquer l’écoute ; puis la voile battit longtemps le petit mât, s’aplatissant sous les bourrasques.

Quand il vint, l’ouragan les poussa au sud, vers le golfe de Gascogne. Ils ne virent plus jamais la côte bretonne, à