Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/92

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patron. » — « Quelle personne ? » demanda le juge. L’homme réfléchit et dit : « Ah bien, attendez, je ne me rappelle pas comme ça, moi, ça va me revenir. »

Alors le juge, prenant la parole, lui montra les inconséquences de son système. Il les lui montra, gardant une sorte de respect pour le personnage extérieur que l’homme représentait, comme une pitié pour son attitude affalée, ses raisonnements d’idiot. Il l’appela doucement « mon ami, » en lui faisant toucher du doigt ses contradictions. Il lui expliqua son crime, parce qu’il ne semblait pas le comprendre. Il en fit ressortir la gravité, l’abomination ; insista sur toutes les preuves qui l’accablaient, et termina par une péroraison éloquente où il était dit que souvent le Président préférait user du droit suprême à l’égard de ceux qui avouent.

L’homme parut apprécier l’indulgence du magistrat, et prit la parole à son tour après le juge. Sa voix jusqu’alors avait été terne, monotone, impersonnelle. Il était impossible de se rappeler un ton semblable. Les nuances n’y existaient pas : il était gris et uniforme comme la face terreuse du personnage. Mais, lorsque l’homme répondit à l’exhortation du juge, il fit à son tour une sorte d’exhortation. Les tons de voix s’accusèrent, et furent l’imitation pâle des tons de voix par lesquels le magistrat s’était adressé à lui. Les mots qui vinrent à ses lèvres furent des copies des mots qu’il avait entendus.