Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/276

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cacher davantage. j’advoüe donc que je ſuis Mazare, le plus criminel, & le plus malheureux homme du monde : mais Seigneur, comme je ne ſuis reſſuscité que pour mourir une ſeconde fois, ne vous repentez pas de m’avoir laiſſé la vie. je vous la laiſſay (reprit Cyrus, avec un ton de voix où il paroiſſoit clairement qu’il y avoit beaucoup d’agitation dans ſon eſprit) parce que je ne pouvois alors vous l’oſter aveque gloire : mais aujourd’huy que je vous voy en eſtat d’en faire aquerir à celuy qui entreprendra de vous la faire perdre, je ne ſuis pas reſolu de faire la meſme choſe. Nous nous rencontrerons peut-eſtre devant que la guerre finiſſe, reprit froidement Mazare ; du moins vous chercheray-je aveque foin, repliqua Cyrus ; & ſi je ne sçavois que le droit des gens eſt inviolable, nous terminerions nos differens à l’heure meſme. Abradate craignant que Mazare ne repliquaſt quelque choſe, qui portaſt Cyrus à n’eſtre pas Maiſtre de ſon reſſentiment, rompit cette converſation : leur diſant à tous deux qu’il ne leur eſtoit pas permis de ſe parler, puis que Cyrus n’avoit accordé cette permiſſion qu’au Roy de Pont & à luy. Mazare ne laiſſa pourtant pas de reſpondre d’une façon qui fit eſgallement paroiſtre ſon courage & ſa ſagesse : cependant le Roy de Pont, qui tant qu’il l’avoit regardé comme Telephane, l’avoit fort aime, ne sçavoit alors comment il le devoit conſiderer. Neantmoins venant à penſer que ſi Mazare n’euſt point enlevé Mandane, elle ne ſeroit pas en Lydie, il n’avoit pas pour luy les meſmes ſentimens que Cyrus avoit : au contraire, venant encore à conſiderer, que ſans luy Mandane euſt eſte en la puiſſance du Roy d’Aſſirie, ou en celle de Cyrus, il ne trouvoit pas qu’il pûſt avoir pour luy toute la haine