Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/116

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n’observoit pas cét Ordre si exactement, qu’il ne donnast la liberté de luy escrire : estant fortement persuadé de son innocence : & plus fortement amoureux encore, d’une vertu si extraordinaire. Artamene sçeut ainsi par quelle voye son Billet avoit esté entre les mains de Ciaxare, dont il fut extrémement aise : car bien que les grandes Ames, qui sont incapables de crimes, n’en croyent pas aisément les autres capables non plus qu’elles ; il avoit pourtant eu quelque leger soubçon, que le Roy d’Assirie n’eust fait la chose : & cette pensée luy avoit donné beaucoup d’inquietude. Car, disoit il, si par hazard l’illustre Mandane n’estoit point morte : & que par le mesme hazard elle revinst entre les mains du Roy d’Assirie ; quelle asseurance pourrois-je avoir en la parole d’un Prince, capable d’une si noire perfidie ?

Cependant Chrisante & Feraulas voulant se servir du moyen que le Sort leur presentoit, & travailler à la conservation d’Artamene, se trouvoient fort embarrassez, car en l’estat qu’estoient les choses, ils ne sçavoient s’ils devoient dire la verité des advantures de leur Maistre à Ciaxare. Ils voyoient qu’en le justifiant d’un costé, ils l’accuseroient de l’autre : & jugeoient bien que sa vie seroit encore plus en danger, comme Amant de la Princesse, que comme Amy du Roy d’Assirie. Sa condition mesme qui estoit tant au dessus de ce qu’elle paroissoit estre, leur sembloit aussi un mauvais moyen pour le sauver : & dans cette incertitude, ils ne sçavoient ny que resoudre, ny qu’imaginer. Ils crûrent neantmoins enfin, qu’il estoit juste en une chose si importante, de ne se fier pas entierement en leurs propres opinions : & de ne se charger pas seuls, de l’evenement d’une affaire, d’où dépendoit