Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/266

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de fort bonne grace : & luy dit qu’Artamene ayant parlé le premier ; & qu’ayant desja accordé la chose à un Estranger, il n’osoit l’accorder encore à un second : de peur de faire trop murmurer les Capadociens : qui diroient que ce seroit leur faire tort. Cette avanture donna une grande douleur à Philidaspe : & s’il n’eust esté attaché aupres du Roy, par une raison tres puissante ; il auroit quitté son service. Ce qui l’affligeoit le plus, c’estoit de voir qu’Artamene luy estoit preferé, quoy qu’il fust Estranger comme luy : & bien que Ciaxare luy dist, comme je l’ay remarqué, que s’il eust parle le premier, il n’eust pas esté refusé ; cela ne le consoloit gueres. Artamene au contraire, sentit redoubler sa joye, par la douleur de Philidaspe : & ce grand cœur, tout genereux qu’il estoit, ne pût s’empescher d’estre bien aise de son déplaisir ; tant il y avoit desja d’emulation entre ces deux grands Courages. Ne suis-je pas bien heureux (me dit Artamene, lors que je l’eus rencontré) de voir qu’enfin je ne puis manquer, ou de vaincre pour ma Princesse, ou de mourir pour elle ? Si j’échape de ce danger, je suis assuré de ne la revoir que pour luy annoncer la victoire, & mon triomphe ; & si je meurs, je suis encore assuré d’en estre pleint. Ha Chrisante quelle Gloire ! ha Seigneur ! luy respondis-je, qu’avez vous fait ? Ce que j’ay deû, mon cher Amy, me repartit il, & ce que vous auriez fait si vous eussiez esté en ma place. Mais luy dis-je, Seigneur, avez vous oublié qu’Artamene n’est pas un simple Chevalier tel qu’il paroist, & qu’il est fils du Roy de Perse ? Non, mon Gouverneur, adjousta t’il ; & c’est parce que je me souviens que sa naissance n’est pas commune, que je veux qu’il tasche de faire des actions