Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/292

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la bonté des Dieux & ma valeur, ont laiſſé la veuë, le ſang, & la force ; je l’ay veû combattre ; je l’ay veû bleſſé ; & vous l’avez veû preſque mort, aupres de ce Trophée imaginaire. Apres cela, Seigneurs, je n’ay plus rien à dire ; ne voulant pas differer plus long temps l’heure de mon Triomphe, & la gloire de mon Party.

Artane ayant ceſſé de parler, il s’eſleva dans toute l’aſſemblée un bruit confus ſans acclamations : par lequel il eſtoit aiſé de comprendre, que le monde n’eſtoit guere perſuadé de ſon diſcours. Artamene m’a dit depuis, qu’il n’eut jamais tant de peine en ſa vie, qu’il en eut à le ſouffrir. Neantmoins il ſe reſolut d’y reſpondre ſans s’emporter : & la foibleſſe de cét homme faiſant ſucceder la pitié à la colere ; qu’il ne luy dit point d’injures, que celles qui eſtoient abſolument neceſſaires, pour la deffenſe de ſa valeur, & pour l’advantage de ſa Cauſe. Apres donc que ce murmure qui s’eſtoit eſlevé dans cette illuſtre Compagnie, fut entierement appaiſé ; & qu’Artamene eut fait une reverence de fort bonne grace aux Rois & à ſes Juges ; tout le monde ſe preſſa pour eſcouter : & par une attention extraordinaire, il ſe fit un ſi grand ſilence, qu’il ſe vit obligé de l’interrompre, en commençant ſon diſcours par ces meſmes paroles, ſi ma memoire ne me trompe.