Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/301

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comme il commençoit de le ſoubçonner ; il ſeroit bien aiſe de le voir puny par la main d’Artamene : adjouſtant à ce diſcours, qu’il ſe conſoleroit de la perte de Ceraſie, par la joye quil auroit de la ſienne. En effet, nous sçeuſmes que ce Prince le fit obſerver avec tant de ſoing, qu’il fut impoſſible à ce laſche, d’éviter ce combat par ſa fuite ; comme il euſt fait infailliblement, s’il en euſt pû trouver les moyens. Pour Ciaxare, il ne fut faſché de la choſe, que parce qu’enfin c’eſtoit touſjours en quelque façon expoſer la vie d’un homme ſi illuſtre, que de l’engager dans un nouveau peril : n’y ayant point de ſi foible ennemy, qui ne puiſſe quelquefois par un malheur, bleſſer dangereuſement le plus vaillant homme du monde.

Cependant le temps du combat ayant eſté remis à quatre jours de là, chacun ſe retira dans ſa Ville, aupres de laquelle, comme je l’ay dit, les Rois avoient fait camper leurs Armées. Ciaxare ne fut pas pluſtost arrive dans Aniſe, qu’il fut à l’Apartement de la Princeſſe, accompagné d’Aribée, d’Artamene, de Philidaſpe, & de beaucoup d’autres : comme il luy aprit ce qui avoit eſté reſolu, quoy Seigneur, luy dit elle, eſt-il juſte de vaincre deux fois un meſme Ennemy ? & n’acheterez vous point trop cher la conqueſte de Ceraſie, ſi elle couſte encore quelques gouttes de ſang à Artamene ? Pour moy je vous advouë ma foibleſſe (pourſuivit elle en portant la main ſur ſes yeux, pour cacher la rougeur qui luy eſtoit montée au viſage) je ne puis entendre parler de combats, ſans émotion & ſans repugnance : principalement lors qu’il s’agit d’expoſer la vie d’un homme qui a défendu la voſtre. Je ſuis trop glorieux, Madame, interrompit Artamene, que vous me faciez l’honneur