Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/320

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faire croire au Roy de Pont qu’on le craignoit, supplia Ciaxare de luy permettre de demeurer à quelques stades au delà de Cerasie, avec dix mille hommes de pied, & quatre mille chevaux seulement, pour observer la contenance de l’Ennemy, & pour luy faire voir qu’on ne le redoutoit pas : pendant que de son costé, il grossiroit son Armée de toutes les Garnisons des Places les plus proches ; feroit faire de nouvelles levées ; & apaiseroit par sa presence, & par celle des Troupes qu’il emmeneroit, le tumulte arrivé dans Anise, qui n’estoit pas fort considerable. Le Roy aprouvant la proposition d’Artamene, consentit à ce qu’il voulut ; & commanda les Troupes, qui devoient demeurer sous la conduitte de mon Maistre. Mais admirez Seigneur, les bizarres effets que produisent les passions violentes, dans une ame ambitieuse qui en est possedée : Philidaspe qui estoit desesperé, de se voir dans la cruelle necessité d’obeïr à Artamene, comme Lieutenant General ; & qui par plus d’une raison, devoit estre bien aise de suivre le Roy dans Anise, où il s’en retournoit ; ne laissa pas malgré tous les sentimens secrets qui luy donnoient de la repugnance à obeïr à mon Maistre ; & qui l’appelloient aupres de Ciaxare ; de soliciter puissamment le Roy, pour estre de ceux qui devoient demeurer aupres d’Artamene. Et en effet, il agit si fortement pour cela, qu’il obtint ce qu’il de mandoit. Ce n’est pas que ce qu’il demandoit, n’eust des choses tres fascheuses pour luy : mais c’est qu’enfin rien ne luy estoit plus insupportable, que de voir qu’Artamene peust aquerir de la Gloire, sans que du moins il la partageast avec luy : & qu’il estoit absolument resolu d’estre son Rival en ambition.