Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/323

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vaincus de cette sorte. Il faut les combattre plus noblement : & ne les vaincre pas par la multitude. En disant cela, il escarte tous ces Cavaliers ; leur fait cesser le combat ; & adressant la parole au Roy de Pont, vaillant Prince (luy dit il en s’arrestant un moment) il ne tiendra qu’à vous que vous ne vous vangiez du sang que je vous ay fait verser : & que nous n’achevions presentement, ce que nous avions commencé il y a peu de jours. Genereux ennemy (luy repliqua le Roy de Pont, en se reculant, & levant son espée) il ne seroit pas juste de combattre mon Liberateur : & je ne veux point vous mettre en estat de m’oster ce que vous venez de me donner : ny me mettre en estat moy mesme de me deshonorer, en tuant celuy qui m’a sauvé la vie. Mais comme il vit qu’Artamene n’estoit pas content de ce discours, & que peut-estre le forceroit il à combattre ; il le quitta, & se mesla avec precipitation dans la multitude : où Artamene le suivit, sans le pouvoir rejoindre de tout ce jour là.

Cette action donna de l’admiration à mon Maistre, & de la douleur tout ensemble : car enfin apres les belles choses qu’il avoit veu faire au Roy de Pont, il connoissoit parfaitement, que la seule generosité le faisoit agir ainsi. Helas ! (me dit il le soir, lors qu’il fut retiré à sa Tente) que j’ay un dangereux rival, & que je serois malheureux, si Mandane le connoissoit aussi bien que moy ! Mais Dieux, poursuivoit-il, que ce Prince sçait peu quel est celuy qu’il n’a point voulu combattre, & quel est celuy qui luy a sauvé la vie ! Il ne sçait pas, adjoustoit-il encore, que je ne le sauvois que pour le perdre : car il ne me regarde que comme un Ennemy genereux, & ne me soubçonne point du tout d’estre son Rival.