Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

te pleins ! tu as sans doute quelque estime pour Artamene ; tu voudrois qu’il fust attaché à ton service ; & qu’il fust nay ton Subjet, ou qu’il devinst ton Vassal : Mais Dieux ! quand il seroit ton Vassal, ton Subjet, & mesme son Frere, il seroit tousjours ton Rival, & tu ne devrois point souhaiter sa vie. Cependant tu me la conserves ; & quoy que je puisse faire, si ce que tu m’as mandé est veritable, je te la devray sans doute, si j’échape de ce peril : puis que si je ne m’y estois pas preparé, il seroit comme impossible que je n’y succombasse. Ha Mandane ! s’escrioit-il tout d’un coup, incomparable Mandane, ne donne pas toute ton estime à mon Rival : attens la fin de cette Bataille, afin de la dispenser equitablement : & donne toy le loisir, de comparer ses actions avec les miennes. Toutefois, adjoustoit il, il y a une notable difference entre luy & moy : car enfin, Mandane sçait que le Roy de Pont est amoureux d’elle : & elle ignore absolument ma passion, Peut-estre, luy dis-je, Seigneur, que cette connoissance qu’elle a de ses sentimens, luy est plus nuisible qu’advantageuse : Non non, Chrisante, me dit il, quelque severe que soit ma Princesse ; quelque rigoureuse vertu qui soit en elle ; il est impossible qu’elle prive l’Amour du privilege qu’il a, de donner un nouveau prix aux belles actions, que font ceux qui le reconnoissent. Ouy Chrisante, quand la personne aimée ne devroit jamais aimer, il est certain que lors qu’elle est persuadée, que tout ce que l’on fait de beau & d’heroïque est fait pour elle ; si elle n’en conçoit pas de amour, elle a du moins de l’estime, & quelquefois de la pitié. Ainsi Chrisante, peut-estre que de l’heure que je parle, Mandane estime &