Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/373

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pour perdre la memoire des bienfaits. Mais enfin j’aime la paix : & toutes les vertus paisibles, touchent plus mon inclination, que les fieres & les superbes. Ce seroit donc un grand malheur, reprit Artamene, aux Princes qui auroient un dessein particulier de vous plaire, de ne trouver point d’autre voye de vous rendre service, que par le fer, le feu, & le sang ? Il est certain, adjousta-t’elle, qu’un Prince qui n’auroit que de la valeur, & de la bonne fortune dans les combats, n’auroit pas selon mon sens, tout ce qui est necessaire, pour meriter l’estime d’une Princesse raisonnable : Ce n’est pas que ces bonnes qualitez ne soient dignes de loüange : Mais s’il les avoit seules, je croirois qu’il se devroit contenter d’une legere estime : & qu’il ne devroit pas pretendre à son amitié. Que faudroit-il donc qu’il eust, repliqua Philidaspe, pour pouvoir esperer quelque part en la bien-veüillance d’une illustre & grande Princesse ? Il faudroit, reprit-elle, si je ne me trompe, que sa valeur ne fust point trop farouche ; qu’il aimast la Victoire sans aimer le sang ; que la fierté ne le suivist que dans les combats ; que la civilité ne l’abandonnast jamais ; qu’il aimast la gloire sans orgueil ; qu’il la cherchast par toutes les voyes où l’on la peut rencontrer ; que la douceur & la clemence, fussent ses qualitez dominantes ; qu’il fust tres liberal, mais liberal avec choix ; qu’il fust reconnoissant en tout temps ; qu’il n’enviast point la gloire d’autruy ; qu’il fust equitable à ses propres ennemis ; qu’il fust Maistre absolu de ses passions ; que sa conversation n’eust rien d’altier ny de superbe ; qu’il fust aussi fidelle à ses Amis, que redoutable à ses Ennemis ; & pour dire tout en peu de paroles, qu’il eust toutes les vertus, & qu’il n’eust aucun deffaut.