Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/378

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Prince ; vous en eſtes aimez l’un & l’autre ; & je vous crois l’ame trop grande, pour eſtre capables d’envie. D’ou vient donc que vous ne vous aimez pas autant que vous vous eſtimez ? & d’où vient que je ne voy pas entre vous, cette union qui rend les Amis Maiſtres de toutes les penſées, & de tous les ſecrets de ceux qu’ils aiment, & de qui ils ſont aimez ? C’eſt peut-eſtre, reſpondit Philidaſpe, que nous nous eſtimons trop, pour nous aimer : & c’eſt peut-eſtre auſſi, repliqua Artamene, que nos ſecrets ſont de trop grande conſequence, pour nous mettre en eſtat de les reveler à perſonne. Je voudrois pourtant bien, reprit la Princeſſe, que vous m’euſſiez apris plus preciſément ce qui vous deſunit, car je vous advouë, que je ne le puis comprendre. Pour moy, adjouſta-t’elle, je ne sçache que deux paſſions, capables d’empeſcher les honneſtes gens de s’aimer ; qui ſont, à ce que j’ay entendu dire, l’ambition & l’amour : mais pour la premiere, il me ſemble que le Roy mon Pere a dequoy contenter celle de l’un & de l’autre : & pour la ſeconde, outre que je ne veux pas ſoubçonner deux hommes ſi genereux, d’une ſi grande foibleſſe ; je ne voy pas encore qu’il y ait acuune apparence que cela ſoit. Et peut-eſtre n’y a-t’il pas une de mes Filles (dit-elle en ſous-riant, & en les regardant toutes) qui n’ait fait un ſecret reproche à ſa beauté, de n’avoir pû vous donner des chaines, depuis que vous eſtes à la Cour : où l’on ne remarque pas, que vous ayez un attachement de cette eſpece. Parlez donc, leur dit-elle, je vous en conjure : & ne me déguiſez point vos veritables ſentimens. Je vous laiſſe à penſer, Seigneur, quel embarras eſtoit celuy où ſe trouvoient Artamene & Philidaſpe : &