Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/399

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s’en meslassent : jamais personne ne le fut davantage : & quand il repassoit dans sa memoire tous les merveilleux evenemens de sa vie ; qu’il se souvenoit de combien de perils il estoit échappé ; quelle amitié Ciaxare avoit euë pour luy ; quels services il luy avoit rendus ; quelle passion respectueuse il avoit euë pour Mandane ; quels obstacles il avoit trouvé en tous ses desseins ; quelle douce vie il eust pû mener, s’il ne fust point sorty de Perse ; à combien de travaux il avoit esté exposé ; combien la Fortune luy avoit fait acquerir de gloire ; quels illustres Rivaux l’Amour luy avoit donnez ; quelles fameuses victoires il avoit remportées ; & en quel malheur il estoit reduit ; repassant, dis-je, toutes choses en confusion dans son esprit, il ne pouvoit presque se croire soy mesme : & se voyant seul dans sa chambre, il avoit y des momens où il ne sçavoit trop bien, s’il estoit Cyrus ou Artamene, ou s’il n’estoit ny l’un ny l’autre. Mais du moins n’ignoroit-il pas, qu’il estoit le plus malheureux Prince du monde : & qu’à moins que de la puissance absoluë des Dieux, il ne luy estoit pas possible d’esperer jamais nulle satisfaction en la vie. L’absence de la personne aimée, disoit-il en luy mesme, passe dans la croyance de toute la Terre, pour une surpresme infortune : mais helas ? je n’en suis pas seulement absent pour un temps, j’en suis peut-estre esloigné pour tousjours. Quand j’estois à l’Armée adjoustoit-il, & que je sçavois qu’elle estoit dans Ancire, ou dans Sinope, je sçavois qu’elle estoit en seureté : je sçavois qu’elle estoit en un beau lieu ; je sçavois qu’elle estoit en agreable compagnie ; & je sçavois encore de certitude, que mon absence ne la touchoit pas. Ainsi je n’avois