Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/428

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Ce ne fut donc pas une grande merveille, si elle fit un Esclave d’un homme qui ne se deffendit pas, & qui n’avoit point d’armes pour se deffendre. Mais pour moy, il n’en est pas ainsi : tout le monde m’a dit, & vous me l’avez dit comme tout le monde, & me l’avez dit plus de cent fois : qu’Amestris est la plus belle chose de la Terre : & dés là je m’en suis formé une idée si parfaite ; que je suis absolument persuadé, qu’elle ne me surprendra point : & que peut-estre mesme suivant la coustume, la trouveray-je un peu moins belle, que l’image que je m’en suis faite sur vostre raport. De plus, j’y vay avec intention de luy resister, & de luy disputer mon cœur, autant qu’il me sera possible : & sçachant que mon Frere l’aime & que vous l’aimez ; à moins que je perde tout d’un coup l’usage de la raison, je ne suis pas en danger de porter des fers. Je le souhaite, luy dis-je, mais je ne laisse pas de craindre le contraire. Arbate ne pouvant s’empescher de rire de ma foiblesse ; vous estes si peu sage, me dit-il, que la crainte que j’ay de devenir aussi fou que vous, vous doit mettre l’esprit en repos : neantmoins je vous le dis encore pendant qu’il en est temps, si vous voulez je ne la verray point : si ce n’est que le hazard me la face rencontrer.

Je vous advoüe Seigneur, que je fus tenté cent & cent fois de le prendre au mot, mais je n’en eux pas la force : & je trouvois moy mesme tant de folie en mon procedé, que j’en eus de la confusion. Je dis donc à Arbate, que je ne changerois point d’avis : & qu’enfin le lendemain aussitost apres disner je l’irois prendre, & que nous irions chez Amestris. Arbate, comme je vous l’ay dépeint, estoit un peu solitaire : mais il n’estoit pourtant pas de ces melancoliques