Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/515

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mon visage, & en toutes mes actions ; qu’en fin pressé par son affection, & par ma propre douleur, je luy apris la naissance de mon amour ; son progrés ; & sa fin : car j’avois quelques fois la hardiesse de parler, comme si je n’eusse plus aimé.

Il me souvient mesme qu’un jour que nous estions seuls, parlant de quelque chose qui estoit arrivé à la Cour, j’eus l’audace de dire à Artabane, pour luy designer precisément, quand cela estoit advenu ; que c’estoit du temps que j’aimois Amestris. Mais Seigneur, en prononçant ces paroles je rougis : & Artabane s’escria en m’embrassant, ha mon cher Aglatidas vous l’aimez encore ! vostre visage vous a trahi : & vostre cœur à plus de sincerité que vos paroles. Je ne sçay si je l’aime encore, luy respondis-je en soupirant ; mais je sçay bien que je ne la dois plus aimer ; & que mesme je ne la veux plus aimer. L’Amour, me respondit-il, n’est pas acoustumé à demander le conseil de nostre raison, ny le consentement de nostre volonté pour nous assujettir : & la mesme violence qui le rend quelquefois Maistre de nostre cœur malgré nous, l’y peut maintenir par la mesme voye. L’Amour, poursuivit Artabane, n’est pas un Roy legitime, mais un Tyran : qui ne traite pas mesme plus doucement ceux qui ne se deffendent point, que ceux qui luy disputent leur liberté : & qui regne enfin Souverainement, par tous les lieux où il veut regner. Quoy qu’il en puisse estre, luy dis-je, soit que j’aime Amestris, ou que je ne l’aime pas ; elle n’aura plus de moy, ny marques d’amour, ny marques de haine. Vous changerez bien tost d’avis, me repliqua-t’il, & je n’auray pas besoin de beaucoup de paroles, pour vous prouver que tous les momens de vostre