Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/523

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fortement d’aimer Anatise : & de vouloir chasser Amestris, de mon cœur & de ma memoire. Changeons, changeons, disois-je en moy mesme, cette feinte passion, en une passion veritable : ne soyons plus fidelles, à celle qui nous a trahis : & ne trahissons plus, celle qui n’a que de la sincerité pour nous. Anatise n’est pas sans doute si belle qu’Amestris ; mais elle nous aimera peut-estre plus fidellement. Disons luy donc que nous l’aimons, poursuivois-je, quoy que cela ne soit pas encore : afin qu’estant obligez par generosité à ne nous démentir pas ; nous ne soyons plus en termes de craindre de retourner vers l’infidelle Amestris : & d’avoir la foiblesse de la voir & de luy parler, si elle revient comme on nous le dit. Cette pensée Seigneur, se fortifia de telle sorte dans mon esprit, que je fus trois ou quatre jours de suitte chez Anatise, avec intention de luy dire que je l’aimois : Mais quelque resolution déterminée que j’en eusse faite, je ne pus jamais l’executer. Je perdois la parole tout d’un coup, dés que la pensée m’en venoit : je changeois de discours & de couleur hors de propos : ma bouche ne vouloit point m’obeïr : mon cœur se revoltoit contre ma volonté : ma volonté mesme demeuroit changeante & mal affermie : & enfin ne voulant plus du tout, ce que j’avois voulu un moment auparavant, je me taisois en baissant les yeux : comme estant presque également honteux, de ce que je faisois, & de ce que j’avois voulu faire. Mais Dieux ! ce qui me devoit détruire dans l’esprit d’Anatise, m’y establissoit : car s’imaginant que l’amour & le respect que j’avois pour elle, causoient tout le desordre qu’elle voyoit en mon esprit ; elle ne laissoit pas de me bien traitter : & je ne laissois