Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/546

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui ne sçauroit estre. Si Aglatidas m’avoit aimée fortement, quelque sujet de pleinte que je peusse luy avoir donné, il seroit impossible qu’il ne m’aimast pas encore, ou que du moins il ne me haïst point : & il seroit encore plus impossible (s’il est permis de parler ainsi) qu’il peust si tost aimer Anatise. Helas, disoit elle, qui m’eust dit autrefois, vous verrez Aglatidas entrer en un lieu où vous serez, & aller plus tost vers Anatise que vers vous, je ne l’eusse pas creû : Cependant cét injuste que j’ay trop estimé, pour ne pas dire trop aimé ; apres m’avoir veuë la derniere fois, dans des sentimens qui luy estoient si advantageux ; a pû revoir Amestris, d’une maniere si offençante. Ne pouvoit il pas du moins, empescher Anatise de m’aborder, & ne pouvoit il pas esviter ma rencontre ? Non non, disoit elle à Menaste, il ne l’a pas voulu : & il a voulu au contraire, mettre ma patience à la plus rigoureuse espreuve. Je sçay, adjoustoit elle, qu’enfin il a quitté sa compagnie, & qu’il est sorty seul du Jardin : mais la confusion l’en a chassé, & non pas le repentir. Il a quelque honte de son crime ; mais il n’a pas assez de vertu pour s’en dégager. Joint qu’apres tout, quand il se repentiroit presentement, je n’en serois pas satisfaite. Mais, luy dit alors Menaste en l’interrompant, à quoy vous resoluez vous ? Je veux (luy respondit elle, le visage tout changé) ne me souvenir jamais plus d’Aglatidas : & faire que malgré luy il se souvienne eternellement d’Amestris. Je veux qu’il connoisse son crime par mon innocence : & qu’il connoisse mon innocence par mon malheur. Il faut que je luy face voir, que je n’ay jamais rien aimé que luy, & que je luy ay tousjours esté fidelle : mais en le luy faisant voir, je veux que ce soit