Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/56

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à demander où estoit sa Princesse ; croyant encore qu’elle pouvoit estre dans un Apartement plus bas, ou en quelque autre lieu du Chasteau. Mais il fut bien surpris d’entendre que le Roy d’Assirie luy dit ; Tu vois, Artamene, tu vois un Prince bien plus malheureux que toy ; puis qu’il est la cause de son malheur & du tien. Mais tu peux voir en mesme temps (adjousta t’il, en luy monstrrant une Galere qui paroissoit en Mer, & qui n’estoit pas encore fort esloignée, parce qu’elle avoit le vent contraire) un autre ravisseur de nostre Princesse, bien plus criminel que moy ; puis qu’il m’avoit promis une amitié inviolable ; & que je ne t’avois jamais fait esperer nulle part en mon affection. Quoy (s’écria alors Artamene, en regardant cette Galere, & ne regardant plus son Ennemi ; (la Princesse n’est plus en tes mains ? Non, luy respondit le Roy d’Assirie en soupirant : le Prince Mazare, le plus infidelle de tous les hommes me l’enleve ; & t’oste le plus doux fruit de ta victoire. Mais puis que tu ne peux satisfaire ton amour, par la veuë de ta Princesse ; satisfaits du moins ta haine, par la vangeance que tu peux prendre de ton Rival. Tu vois que je ne suis pas en estat de t’en empescher ; & si j’avois pû ne suivre pas des yeux cette Galere, tant qu’elle paroistra le long de cette côste ; il y auroit desja long temps que je me serois jetté dans la Mer ou dans les flames, pour achever mes mal-heurs, & pour ne tomber pas entre les mains de mon Ennemi. Les Ennemis d’Artamene (luy respondit ce genereux affligé) n’ont rien à craindre de luy, que lors qu’ils ont les armes à la main : & l’estat où je te voy, te met à couvert de ma haine, & de mon ressentiment. A ces mots, Artamene se sentit si accablé de douleur, que jamais personne