Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/561

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Mais comme Menaste ne pouvoit pas alors me donner le temps qui m’estoit necessaire pour cela, elle me voulut quitter : du moins, luy dis-je, ne me sera-t’il pas deffendu, de voir Amestris encore une fois : je ne pense pas, reprit Menaste, qu’elle vous le permette : & dans les sentimens où je l’ay veüe, vous ne devez plus rien esperer d’Amestris. Ha Menaste, luy dis-je, n’achevez pas de me desesperer : je veux voir Amestris ; je la veux entretenir ; je veux mourir à ses pieds ; & si vous ne m’en facilitez les voyes, je feray peut-estre des choses, qui déplairont à Amestris, & qui rendronr mon desespoir trop public. Enfin Seigneur, je parlay avec tant de violence, que Menaste eut pitié de moy : & me promit de tromper son Amie : & de me donner de ses nouvelles, aussi tost qu’elle auroit imaginé les moyens, de me la faire rencontrer en quelque lieu.

Apres cela, Menaste fut achever ses devotions : & Artabane qui n’avoit point eu d’autre dessein que de me trouver, pour me dire qu’il n’avoit pu empescher un malheur qu’il n’avoit sçeu, que lors qu’il estoit desja arrivé ; s’arresta & ne voulut point me quitter en l’estat où j’estois : & d’autant moins qu’il voyoit que le conseil qu’il m’avoit donné, m’avoit fort mal reüssi. Je fus toutesfois assez equitable, pour ne luy en faire point de reproches : & j’avois tant à m’accuser moy mesme, que je n’accusay point mon Amy. Ne faut-il pas advoüer, disois-je, que je suis le plus malheureux, le plus criminel, & pourtant le plus à pleindre de tous les hommes ? Car enfin, dis-je à Artabane, j’ay perdu plus que personne n’a jamais perdu : j’ay failly plus que personne ne faillira jamais : & je souffre plus que tous les malheureux n’ont jamais souffert. Apres avoir dit cela, je fus quelque