Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/563

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pendant que je soupirois : & je ne sçay si vostre felicité pretenduë, ne faisoit point alors mon plus plus grand suplice. Mais Dieux ! je n’avois pas encore esprouvé, combien les infortunes sont plus sensibles, en la personne aimée qu’en la nostre ! Quoy Amestris ! vous serez tousjours malheureuse, & malheureuse pour l’amour de moy ! vous serez contrainte de souffrir eternellement la veüe d’un homme que vous haïssez ! & de n’en voir jamais un autre que vous avez honnoré de vostre amitié ! & tout cela parce qu’Aglatidas vous a paru infidelle, & qu’il a esté jaloux sans raison, quoy que ce ne fust pas sans aparence de l’estre : & par consequent sans faire voir que j’aimois encore, puis que l’on n’est point jaloux, de ce que l’on n’aime pas. Helas Amestris, reprenois-je, connoissiez vous si peu vostre beauté, que vous pussiez vous laisser tromper à un artifice si aisé à descouvrir ? Pouviez vous croire qu’un cœur qui vous avoit adorée, pust offrir des vœux, à nulle autre Divinité ? Pour Aglatidas, il pouvoit avec raison s’imaginer, qu’il n’estoit pas aimé d’Amestris : ses défauts authorisoient tous ses soubçons : Mais pour Amestris, le moyen qu’elle ait pu seulement concevoir (bien loin de le croire fortement) que l’on peust cesser de l’aimer ; & cesser de l’aimer, pour en regarder une autre ? Cependant elle l’a pensé ; elle l’a crû & elle s’en est vangée : & vangée d’une maniere, qui me fera eternellement soupirer : Car enfin il n’y eut, & n’y aura jamais, de malheur comparable au mien. Je ne sçay, me dit alors Artabane, si ceux qui ne sont pas aimez, vous avoüeroient ce que vous dittes : Ceux qui ne sont point aimez, luy respondis-je, peuvent esperer de l’estre un jour : & cette esperance peut leur