Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/389

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toute ma vie dans une Cour où il y a un nombre infiny de belles Perſonnes ſans en eſtre amoureux ; & je ne voy pas pluſtost la Princeſſe Mandane, que je le deviens eſperdûment. Ha ! Orſane, s’eſcrioit il, que ceux qui diſent que l’eſperance naiſt avec l’Amour ſont abuſez ! Car apres tour, que puis-je eſperer ? Je ſens une paſſion que je dois & que je veux combatre : & que ſi je ne la puis vaincre, je ſuis du moins reſolu de cacher eternellement. Car enfin, j’ay promis amitié au Roy d’Aſſirie ; je ſuis ſon Vaſſal ; j’ay l’honneur d’eſtre ſon Patent ; & il m’a choiſi pour le confident de ſa paſſion. Comment donc puis-je vaincre tous ces obſtacles ? Mais quand ma generoſité cederoit à mon amour, & que je me reſoudrois d’eſtre laſche, & de trahir un Prince à qui je dois beaucoup de reſpect ; je le ſerois inutilement : n’eſtant pas à croire, qu’une Princeſſe qui mal-traite le Roy d’Aſſirie, reçeuſt favorablement le Prince des Saces. Ainſi Orſane, pourſuivoit il, je sçay bien que je n’eſpere rien : & je sçay pourtant bien que j’aime, & que j’aime juſques à perdre la raiſon. Mais, reprenoit il, puis que ma paſſion naiſt ſans eſperance, il faut eſperer qu’elle ne durera pas long temps : ou pluſtost, adjouſtoit ce Prince, il faut croire que puis que le deſespoir meſme ne la fait pas mourir en naiſſant, elle ſubsisteta eternellement. Aimons donc, diſoit il, aimons, puis que c’eſt noſtre deſtinée : & aimons meſme ſans en faire de ſcrupule. Car enfin nous ne ſommes pas Maiſtres de noſtre affection : & c’eſt bien aſſez ſi nous la pouvons cacher : & ſi nous la pouvons obliger à ſe contenter de l’eſtime & de Mandane. Bres Chriſante, Mazare ne pouvant arracher de ſon cœur, l’amour qu’il avoit