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Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/559

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quand meſme il ne vous en devroit reüſſir autre bien, que celuy de vous aider à la cacher, & au Roy, & à toute la Cour, ſi vous ne voulez pas qu’ils la sçachent. Je ne penſe pas, me dit il en ſoupirant, qu’il y ait une meilleure joye de ne la deſcouvrir pas, que de ne la dire à perſonne. Mais, Seigneur, luy dis-je, ſi vous me traitez avec cette indifference, quand je ſeray retourné à Paphos, & que le Roy demandera ce que je crois de voſtre chagrin, il faudra bien que je luy die quelque choſe. Et que luy direz vous ? reprit Philoxipe ; Je penſe, Seigneur, luy dis-je, que pour me vanger du peu de confiance que vous aurez euë en moy, je luy diray ce que je ne croy point du tout ; qui eſt que vous eſtes amoureux ; & que la honte de voſtre ancienne inſensibilité, ou de voſtre nouvelle foibleſſe, vous empeſche de l’advoüer. Je luy diray meſme peut-eſtre, luy dis-je en riant, que cette Venus Uranie dont on vous a tant fait la guerre, depuis la belle Feſte que vous fiſtesicy, & qui preceda quelques jours voſtre humeur melancolique, vous a affectivement donné de l’amour. Enfin, Seigneur, il n’eſt rien de ſi bizarre, que je ne ſois capable de dire, pour me vanger du tort que vous faites à la paſſion que j’ay pour voſtre ſervice.

Philoxipe pendant ce diſcours, avoit changé vingt fois de couleur : & ſoit par amitié, ou par l’importunité que je luy faiſois, ou parce qu’en eſtet ceux qui ſont amoureux, aiment naturellement à parler de leur amour ; il me prit par la main ; me fit entrer dans ſon Cabinet ; & apres m’avoir fait faire des ſermens ſolemnels de ne deſcouvrir jamais ce qu’il m’alloit dire : mais avec autant de ceremonie & d’empreſſement, que s’il euſt eu à me deſcouvrir