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Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/595

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obligation ; qu’elle n’a rien à vous reprocher ; que vous eſtes innocent envers elle ; & qu’elle ne penſe à vous, en quelque lieu qu’elle ſoit, que pour regretter voſtre abſence. Où au contraire, j’ay irrité Aretaphile : de qui l’ame ſuperbe m’accuſe ſans doute de peu d’affection : & qui trouvera fort mauvais que j’aye preferé voſtre vie, à l’amour que j’ay pour elle. Mais Seigneur, reprit l’affligé Philoxipe, vous sçavez où eſt la Princeſſe Aretaphile : vous pouvez luy faire entendre vos raiſon : Vous pouvez luy demander pardon de ce crime, qu’un excès de generoſité vous a fait commettre : Vous pouvez ſoupirer aupres d’elle : Vous pouvez vous plaindre, & vous pouvez appaiſſer ſa colere. Mais pour moy Seigneur, quand je me plaindray ; que je ſoupireray ; que je reſpandray des torrents de pleurs parmy mes Rochers, tout cela me rendra t’il Policrite, & sçauray-je où elle demeure ? Peut-eſtre que Cleanthe ſe ſera embarqué : & peut-eſtre enfin que je ne sçauray jamais, ny qui eſt Policrite ; ny où eſt Policrite. Ha ! Seigneur, s’écrioit ce Prince amoureux & deſolé, ſi vous sçaviez quelle cruelle avanture eſt la mienne, vous connoiſtriez aiſément que je ſuis de plus malheureux homme du monde : car ſi j’aimois une perſonne qui me haïſt, le deſpit me pourroit guerir : ſi j’en aimois une inconſtante, le meſpris que je feroïs de ſa foibleſſe me conſoleroit : ſi j’eſtois jaloux, une partie de mon chagrin ſe paſſeroit, à chercher les voyes de nuire à mes Rivaux : ſi l’abſente de Policrite eſtoit bornée, l’eſperance de ſon retour, quelque eſloigné qu’il me paruſt, adouciroit mes inquietudes : & ſi la mort meſme avoit mis une perſonne que j’aimerois dans le Tombeau, je penſe que je ſouffrirois