Page:Segalen - René Leys.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tutoyé en poésie chinoise ; laisse-moi te le rendre aujourd’hui. — Écoute : n’oublie jamais, en Chine, que tu es Européen.

Il se redresse :

— Je sais bien ! ma mère était Française. Il faut que je me déguise en Chinois !

— Déguise-toi en Peau-Rouge ou en Lapon, si cela peut te servir… mais n’oublie pas qu’au moment juste où tu sentiras que « ça va mal », tu te réserves la transformation à vue : tu cries à ces gens : je suis « Étranger » !

Il sourit avec mélancolie :

— Ils auront peur, un peu, deux minutes… et ils m’étrangleront après…

— Oui. C’est plus grave. Où se passera l’incident ?

Il me confie, rapprochant la bouche de son cheval des oreilles du mien :

— Dans la ruelle des « Os de Mouton ». Il n’y a aucune issue. C’est tout près du théâtre…

— Bien. Je sais. Tu me feras le plaisir de tenir bon au moins deux minutes. Mais d’abord, tu lanceras un coup de sifflet. Je ne serai pas loin de toi, aux aguets, dans le Restaurant d’en face. Je te jure qu’avant la deuxième minute je serai avec toi, en complet veston et chapeau européen… Tes étrangleurs auront un second moment de surprise…

Il écoute. Il réfléchit. Il me tend la main droite :

— Entendu.

Nous rentrons, au pas, sans presser l’allure.