Page:Segalen - René Leys.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! pardon. C’est vrai. J’oubliais. Ceci ne vient pas de Ts’ien men-waï.

Il paraît calme. Pourquoi ne le serais-je pas ? Ce soir, et depuis de longs soirs, il n’est plus possible de s’étendre sous le ciel… Il faut se confiner dans les chambres chaudes, et parfois, ouvrir grande la porte pour aspirer avec joie l’air glacé qui entre d’une seule haleine…

Est-ce cela seulement ? Les mots sortent avec difficulté, la confidence n’existe plus… Il s’efforce d’instinct, lui-même, de me ramener en arrière ; il me parle de sa concubine ! (et qu’en fera-t-on cette nuit !) de ses projets grandioses, « impérialissimes », quand les Ts’ing, « consolidés comme une valeur branlante et rematée », seront fixes après la crise. En vérité, en vérité, je me le dis : il parle comme il a toujours parlé depuis six mois. Mais j’avoue ne plus écouter du tout de même…

J’écoute ailleurs. Il m’a dit : « Avant la troisième veille, on me portera un message. » J’attends, bien plus que lui, le message. J’attends, — et il n’y a pas un souffle extérieur, — le message à travers l’air froid de la Grosse Cloche qui sonnera peut-être sa dernière battue, cette nuit ; et qui vient de nous dépêcher, à travers le ciel, le double coup de la Deuxième veille. J’attends. Lui, parle toujours.

Ce qu’il dit ne m’intéresse plus. Le doute a porté ses fruits. Qu’il parle de ceci ou non… Qu’il dise ceci ou cela… J’attends le fait, pris sur le fait, le grossier