Page:Segalen - René Leys.djvu/27

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— C’est qu’il est « chinois » !

— Non ! vous ne l’avez pas… regardé, mon cher ! Blond roussâtre, avec des yeux ronds et gris et un accent ! et un nom : Jarignoux, voyons, ça ne trompe pas ! C’est du bon terroir de Picardie.

Mon professeur accentue son mépris :

— Il n’est plus Européen. Il s’est fait naturaliser Chinois, il y a deux mois et demi, tout juste : il lui fallait ses dix ans de séjour.

Mon professeur est si désapprobatif que je renfonce ma curiosité. Il est bien loin de la vie chinoise, lui, de la « pénétration » chinoise ! Je le lui laisse entendre :

— Et ça ne vous a jamais tenté ? Quand on parle pékinois comme vous le faites ! Vous…

— Moi ?

Ses yeux s’allument :

— Moi ! Non. Jamais.

Il se remet et me lance de force au travail.

Les caractères tremblotent un peu. Je songe ailleurs. Sans doute, une naturalisation pleine et entière à la Chine ne va-t-elle pas sans de graves inconvénients. On voit aussitôt ce que l’on perd : ces prérogatives d’étranger auxquelles il est bon de ne pas toucher… On relève désormais de la justice chinoise. On peut être dénoncé, destitué, découpé, décapité, avec une prestesse et un doigté que la procédure européenne ignore. Les injustices ne sont pas plus fréquentes… mais moins réparables. Il y a aussi la