Page:Segalen - René Leys.djvu/70

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tout juste et très innocemment, jure avoir dû, cette nuit-là, pleurer à domicile la mort de son père adoptif.

Je travaille peu ce matin. Je regarde par-dessus mes toits élégamment courbes des angles, je regarde l’été approfondissant le rectangle bleu qui m’appartient dans le Ciel, par droit de locataire, à Pei-king. Je regarde mon lotus dans la grande vasque où devraient en bonne coutume nager des poissons compliqués ; et, par désœuvrement, je mesure, je jauge, à la course de mon ombre oblique s’approchant de l’axe des bâtiments majeurs, quelle est l’heure, marquée par le jour, à cet instant que voici. Et quand l’ombre de mon corps se confond exactement en cet axe, je sens à travers moi qu’il est midi vrai au méridien du lieu que j’habite, où je suis planté, sur les dalles pénétrées de lumière, dans la cuve quadrangulaire de la cour qui est mon Palais à moi !

… C’est à ce moment juste qu’il revient une seconde fois. Mais point seul : trois jeunes élégants l’accompagnent. Il présente :

— Messieurs Tie-leang, Leang-tch’en et Ngo-ko…

Parfait ! Tous mandchous : ces noms à deux caractères ne trompent pas.

Il dit également le mien : « Monsieur Sié. » C’est le monosyllabe choisi parmi les noms classiques des « Cent Familles » auquel se réduit mon nom occidental, extrême-occidental, du bout de la terre,