Page:Segalen - René Leys.djvu/86

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— Mais non ! il se serait fait reconnaître comme policier ! Il est déjà brûlé ! Et terrible quand il a…

— Bu.

Je sais. Il vient de boire encore, et, le regardant un peu plus, je devine des explosions dans ce petit homme bâti de muscles et de rondeurs solides… Il tient une longue guitare chinoise dont il joue fort délicatement, mais qu’il pourrait, encore mieux, réduire en poussière de ses doigts. — Et il parle, il raconte, il gesticule des yeux et des joues sans interrompre le toucher exquis de ses ongles…

— Comme il joue bien ! dit René Leys, d’un air d’envie… Il est connu pour sa douceur de doigté. — Et vous comprenez ce qu’il raconte ? Non ? Voilà ce qui le rend furieux, après coup : C’est ici que la chose s’est passée ! En 1900, juste après le Siège des Légations et l’entrée des troupes Européennes, il se trouvait dans cette chambre, un soir, et il jouait de ce même « pi-p’a », quand deux grosses têtes d’officiers allemands, bien plus ivres que lui, sont entrées et l’ont écouté en pleurant. Il s’est tu. Les autres lui ont fait signe de continuer. Il a naturellement refusé. On joue pour soi-même et ses amis… mais devant ces Diables Étrangers ! Enfin, l’un des To-Kouo-jen lui a remis de force la guitare dans les mains en lui donnant de petits coups de poing sur la tête. Ensuite…

— Je vois la suite : bâti comme il l’est, il a dû les faire passer tous les deux par la fenêtre de ce « Pa-