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— Oui, comme les concubines… Quel Empire bien ordonné ! J’aimerais mieux un peu plus d’imprévu…

Maître Wang ne comprend pas mon essai timide de traduction du mot « imprévu ».

— Tout comme « impossible » en français, « imprévu » ne serait-il pas chinois ?

— Il y a bien les « Sociétés Secrètes », avoue enfin Maître Wang. Il y a des gens qui donnent de l’argent et font partie de réunions où l’on parle. Ils proposent que l’Empereur soit un Han-jen, un Chinois. Mais ces gens perdent leur argent, et quelques-uns d’entre eux vont en prison et perdent leur tête.

J’ajoute, un peu à l’aventure :

— Il y a aussi Yuan Che-k’ai ?

Mon Professeur me donne aussitôt une leçon, par l’air distant dont il reprend le nom.

— Yuan Che-k’aï ! C’est un ancien fonctionnaire de l’Empire. Il est en congé.

Et, confidentiellement :

— Il a une jambe bien malade.

Je sais. Yuan Che-k’aï est politiquement bien mal en point. Sa jambe malade… c’est une apocope toute littéraire, un euphémisme. Jambe est ici employé comme figure de rhétorique, à la place de Tête ; la tête, cet organe si important et cependant si fragile dans l’Histoire ancienne de la Chine et des Hommes, la Tête, cette calebasse pédiculisée toute prête pour le couperet, avec ce trou préparé pour le Poison, la bouche !