Page:Segalen - René Leys.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Évidemment. Le seul mâle du Palais est l’Empereur.

— Eh bien, mon cher Leys, le Régent dispose d’un moyen de sécurité politique, historique et discret. Il y a des puits au Palais ?

— Comment le savez-vous ? demande-t-il en tressaillant.

— Il y a des puits… comme dans toute la plaine environnante… C’est le même terrain, et l’eau des Lacs ne suffirait pas… Eh bien, pourquoi cette personnalité gênante, ou même dangereuse, n’est-elle pas déjà mise à l’ombre, au fond d’un beau puits d’eau fraîche ? — J’en ai vu, au Temple du Ciel, de remarquables : une énorme margelle de marbre monolithe, comme un tambour de jade, comme une grosse bague de pouce pour tirer de l’arc, et qu’on aurait bien posée à plat, avec ses centaines d’encoches lissées par la corde… celle du puits, — vous savez, la corde qui file dans la terre jusqu’à la nappe où l’on voit un pan de ciel… Et quand on relève la tête, on perce également à travers le toit du kiosque, par un trou de même diamètre que la bague, et l’on s’attend, par réflexion inverse, à voir le puits se tourner bout pour bout et se forer dans le ciel qui refléterait l’eau du puits…

Je m’arrête. René Leys, pâle et les yeux grand ouverts comme deux puits d’ombre, me regarde, ou regarde je ne sais quoi. Il a peur : il va défaillir… Je ne peux me croire en cause : il a déjà dû penser