Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/33

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et des espérances immortelles que pour hâter l’instant de ma destruction ?

De cette hauteur d’où j’aimais à observer la nature, quelle force me précipitera dans l’oubli ? J’aurai vécu, j’aurai senti, j’aurai pensé durant un jour ; ce jour ne reviendra pas, et, dans les temps qui s’écouleront, une minute ne me sera pas donnée. Des siècles meilleurs consoleront les hommes, des hommes que je ne connaîtrai pas. Et le soleil se lèvera, et la terre fleurira : je ne le saurai pas. Des chênes, déjà forts quand je naquis, verront se ranimer leurs branches ; mais ces dons du printemps s’étendront sur ma tombe.

Dès long-temps une raison, trop bornée peut-être, mais du moins courageuse, a répondu : « Tes misères viennent de toi seul, homme avide et trompé ! rien n’est contradictoire, rien n’est injuste. Toujours active, mais toujours indifférente, la nature ne fera rien contre toi, elle ne fera rien pour toi : puisqu’elle t’a formé, elle te détruira. Ce n’est pas un sujet de douleur : as-tu gémi avant de naître ? Pourquoi sais-tu que des journées inégales se succèderont ? qu’importe aujourd’hui ce qui demain peut survenir ? Une imagination inconsidérée fait seule le tourment d’un cœur périssable ; obéis doucement à la nécessité : suspendras-tu le cours d’un fleuve ?