Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et si même nous étions introduits dans un autre espace, si nous marchions sur le sol des autres mondes, que saurions-nous ? La sensation est vraie, parce qu’il existe toujours quelque analogie entre les êtres accidentels mis en contact ; mais la connaissance absolue, celle de la nature de chaque être, nous est refusée. Par quel moyen l’homme qui passe observerait-il ce qui subsistera ? Comment trouver une langue commune ? Quelle communication établir entre nos organes périssables et les bases de l’univers ?

Notre intelligence calcule des rapports, et elle examine des qualités ; mais la substance ne peut être le sujet d’aucune étude. Si même l’universalité des choses visibles et regardées comme matérielles, si le monde a le sentiment de son existence, de ses forces combinées, il nous paraît impossible qu’il en reçoive d’autres notions que celles de la situation respective des parties ou du jeu des accidens. Ce qui est sans relations ne saurait être expliqué ou conçu à notre manière : nous n’imaginons pas même comment l’être unique se rendrait raison de son existence, ou comment pourrait se savoir vivant celui qui resterait toujours le même.

L’essence est du moins impénétrable pour tout ce qui n’est pas elle. Le principe absolu ne se ma-