Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/45

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deux composés individuels, il faudrait connaître le mécanisme général, il faudrait du moins avoir observé toutes les parties de l’univers.

Dans nos étroites limites, nous ne pouvons jamais considérer sous un point de vue certain l’organisation du monde. L’imagination nous trompe sur le centre des rapports entre les objets que nous observons ; elle le place où nous sommes. Cette manière de voir pourrait être dans le principe la seule qui nous convînt ; mais, par cette raison même, la science ne nous conviendrait pas. On se trompe aussi sur les proportions. Ce qui est plus près paraît plus grand. Aux yeux de tout homme ordinaire, ce qui appartient à son siècle, à sa ville, à sa famille, est plus beau ou plus odieux que les mêmes choses aperçues dans d’autres temps ou d’autres contrées. La mesure universelle nous manquera toujours ; quand nous cherchons la loi première, nous ne trouvons que des concordances d’un ordre très-inférieur.

Si nous assurions que tout corps étant corruptible, tout dessein est infructueux, et qu’un jour nos actions se confondront toutes dans un même oubli, cela détruirait-il la prudence, l’effort, l’art, le choix ? Non peut-être. La valeur de ces moyens ne serait plus la même, cependant nous les emploierions en-